Madeleine Vionnet et la presse féminine, 1928-1830

1928-1929

En 1928-1929, qu’ils soient d’été ou d’hiver, le manteau Vionnet est vraiment à la pointe de la mode. Surtout ceux d’hiver dont les fourrures (un must have de l’époque) sont particulièrement prisées, comme le montre cet article de Vogue

…ou le fait que la majorité des images et photos parus concernent des manteaux

L’autre type de vêtements qui a les honneurs des pages modes et mondanité des magazines, sont les robes de mariée (avec des traînes et des voiles disproportionnés).

Il est généralement difficile de savoir qui sont ces jeunes filles en blancs et ce qu’elles sont devenus. Mais parfois, on a quelques bribes d’histoire. C’est le cas pour Marie de Lloveras, dont on sait qu’elle est argentine et amie de Jorge Luis Borges, qui se marie à Bertrand de Faucigny-Lucinge, surnommé Prince de Cystria (1898-1943) qui est un pilote automobile français privé, gentleman driver sur des voitures Bugatti.

En 1929, on trouve aussi ce long article, dans le journal Gringoire du 22 février lié, à priori, à l’obtention d’une décoration par Madeleine Vionnet, qui en raconte plus sur sa vie ou son processus créatif.

UNE REINE DE LA MODE

Madeleine VIONNET

Son père avait été gendarme dans le Jura, puis employé d’octroi à Paris. Famille nombreuse. Petits moyens. A douze ans, la petite Madeleine a dû aller gagner sa vie. Un an d’apprentissage à l’œil, puis un an à dix sous par jour : juste de quoi s’offrir deux cafés-crème et deux croissants. Dix ans après, elle était première chez Doucet : quarante mille par an ; un contrat de trois ans. A l’expiration de ce contrat, Doucet fui offrit cent mille. Elle refusa, s’installa à son compte, d’abord rue de Rivoli, puis dans sa maison actuelle.

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Chez elle, c’est avenue Montaigne, une vaste usine masquée, en façade par un luxueux hôtel où le néo-grec s’allie aujourd’hui au style Arts Décoratifs. Il y a trente salons d’essayage, et sept étages d’ateliers ou de réserves.

Le grand salon, aux vitres dépolies, a été tout entier décoré par de Feure, dans une note assez audacieuse. Des bergères grises le meublent. Le plafond lumineux de Lalique est un ravissement. Sur les murs, les portraits, hardiment colorés, des clientes les plus notables.

Le salon de la fourrure est rouge : il n’y a pas de couleur qui mette mieux en valeur les visons, les chinchillas,, les breitchwantz [un autre nom de l’astrakan], les petits gris.

On présente la lingerie aux belles clientes dans le décor du IIIe acte de Cyrano.

Le salon gris est pour les dames qui aiment philosopher. De sages maximes, de salutaires conseils, sont inscrits sur ses murs : « Mens si tu veux, pourvu que ton mensonge soit beau ! » « La philosophie constate, l’art invente »; ou encore ,« Les idées neuves sont des passereaux pourchassés par des buses… »

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Ici, les passereaux pourchassés naissent à raison d’un ou deux par heure. Enfoncé, Emile de Girardin, l’homme d’une idée par jour ! Est-ce avec une idée par jour qu’on réussirait à habiller des milliers d’élégantes dans le monde entier, à faire vivre deux mille ouvrières, à exporter pour cinquante millions par an ? Est-ce avec une idée par jour qu’on arriverait à rajeunir sans cesse les manteaux, les tea-gowns et les blouses, les godets, les volants en forme, les cols-châle, les plissés-soleil, à décorer de noms nouveaux, toujours plus poétiques et plus aériens, plus légers et plus tendres, les vieilles étoffes dont s’habillaient nos aïeules ?

Madeleine Vionnet travaille vingt-quatre heures par jour. Elle a à sa disposition une bibliothèque où se retrouvent les plus merveilleux documents du Moyen Age.

— Cette boucle-là, voyez-vous ?… qui fait si bien à cette cape de velours bleu doublée d’hermine, je l’ai empruntée au costume d’un archer de Philippe-le-Bel !…

Elle est sans cesse à l’affût d’un détail inédit.

Elle appointe tout un état-major de chercheurs, qui furètent, pour elle, dans les images du passé et au jour le jour dans les réunions chic.

— AIors, quand on est bien documenté, dit-elle, on compose à sa guise. Je n’ai jamais fait autrement. Il me semble qu’un vrai couturier doit pouvoir faire ces robes dans une île déserte !…

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Madeleine Vionnet est la première à avoir pensé — elle n’a eu qu’à se souvenir d’elle-même — que l’invention pouvait naître dans une cervelle d’apprentie.

—… Pourvu, dit-elle, que celle-ci soit débrouillarde et débrouillée ! C’est trop bête, d’ailleurs, de rester sans orthographe toute sa vie,.. Je sais bien que les gosses, dès le certificat d’études sont obligées d’aller travailler et qu’il leur reste beaucoup à apprendre encore quand elles lâchent d’école. Celles qui entrent chez moi continuent d’étudier. On leur fait la classe de manière qu’elles y prennent agrément. 0n leur enseigne la grammaire, un peu de géométrie (mais oui ! on m’appelle la géomètre de la couture !), d’histoire de l’art, de la comptabilité ménagère. Ça ne leur nuit pas pour apprendre la coupe, ni même pour trouver à se marier !…

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Il n’y a pas de patronne “sociale” plus aimée que Madeleine Vionnet. Elle est si simple, si douce, si gaie. Les jeunes mamans, chez elle, ont tout de suite des compliments, ce qui est bien, et du secours, ce qui vaut mieux encore.

Les malades sont soignées. Celles qui négligeraient de manger sont gentiment obligées à prendre souci de leur propre santé. Il y a des fêtes où on s’amuse toutes ensemble, — la patronne et les gosses, — comme la Sainte-Catherine où pendant deux ou trois jours pleins on travaille pour soi, à se tailler et à se coudre un travesti en linon, en mousseline à patrons, en tickets de tramways ou de métro…

— La patronne ?… Y a des jours où elle se fiche tellement de l’élégance qu’elle fait penser aux cordonniers, si souvent mal chaussés d’après le proverbe. Mais ça ne fait rien. Y a pas plus chic tout de même !

La croix qu’on vient de lui donner lui a fait moins de plaisir qu’à la moindre collaboratrice de son plus lointain atelier.

Raymond de NYS.

[Homme de lettre français et journaliste, notamment à l’Intransigeant]

Je me suis demandé ce qu’il était advenu de cet endroit qui a été tant de fois décris, les salons de la maison Vionnet. Ils sont au 50 rue Montaigne et n’existent plus, c’est désormais le siège de LVMH et ça a été rénové il y a quelques années. Je vous laisse juger !

1930

Si les années précédentes, Vionnet est connues pour ses manteaux, en 1930, c’est clairement pour ses robes. De jours, comme de soirées, généralement fluides et épurées, mais avec aussi parfois des motifs et des coupes plus près du corps.

Mais Madeleine Vionnet reste la reine des manteaux, voir des robes-manteaux, aux lignes épurés et élégantes.

Concernant les gens qui font la mode, Vogue accueil celui qui deviendra un grand nom de la photographie de mode : Cecil Beaton (1904-1980)

Photographe de mode et de portrait britannique. Il est également au cours de sa vie scénographe, et concepteur de costumes pour le cinéma et le théâtre. Il se fait connaître par une première exposition à Londres en 1926 qui est bien accueillie. Il a alors son propre studio pour créer des photographies de mode ou des portraits. À la fin des années 1920, il travaille pour l’édition américaine de Vogue qui l’a embauché au départ comme illustrateur avant de devenir photographe. Il est alors publié ponctuellement à l’intérieur du British Vogue. Et ponctuellement dans l’édition française. Dans le Hollywood des années 1930, il réalise de nombreux portraits de célébrités, et devient le portraitiste officiel de la famille royale en 1937.

Dans un autre style, on peut trouver cette réclame, qui a beaucoup de panache, signée Drian, de son vrai nom Adrien Désiré Étienne, qui est un illustrateur français (1885-1961). Il fait ses études à l’Académie Julian à Paris. Il participe, au début du XXème siècle, entre autres, à la Gazette du Bon Ton et à Le Journal des dames. Après la guerre, on retrouve ses illustrations de mode en France dans L’Illustration et Femina, mais également dans le Harper’s Bazar. Il illustre également des romans ou des contes, participe à la création de vitrines aux États-Unis, à la décoration de bureaux, ou des fresques pour Elsie de Wolfe (une des premières décoratrices d’intérieur). Outre ses illustrations, il est également l’auteur de peintures à l’huile et il termine sa carrière comme portraitiste.

Quant au personnage central de cette illustration, Madame Cécile Sorel, il s’agit de Céline Émilie Seurre (1873-1966), comtesse de Ségur par son mariage, qui est une comédienne française. Jouissant d’une très grande popularité, elle côtoie les plus grandes personnalités de son temps, au nombre desquelles Clemenceau, Rostand, Guitry… Reine des planches, ses apparitions publiques, le plus souvent dans des costumes extravagants, font, à son époque, sensation. Habiller les actrices était donc déjà un très bon plan marketing pour les créateurs de mode.

Enfin, revenons sur quelques-un des modèles, dont certaines sont de sacré personnages, comme cette figure qui semble être tout à fait anachroniques.

Il s’agit de l’Américaine Jane Allen Campbel (1865-1938). Née à New York, elle se marie en 1897 avec Carlo Bourbon del Monte, 3e Principe di San Faustino, Marquis del Monte Santa Maria. Son époux, de quatre ans son cadet, était un descendant d’une ancienne famille noble romaine et avait succédé à son père dans les titres familiaux en 1892. Elle passa sa vie à Rome et était connue pour avoir choqué la société pendant plus de quarante ans en ignorant les traditions sociales établies. Elle a porté un deuil profond après la mort de son mari, toujours en blanc ou en noir, pendant plus de vingt ans avec une coiffe à la Marie de Médicis.

Jane Barbara Hutton, une héritière célèbre surnommée « la pauvre petite fille riche« , qu’elle a aidé à établir des connexions sociales en Italie la décrit ainsi : « Elle s’asseyait dans sa cabane et jouait au backgammon pendant des heures, sirotant de l’Amaretto et de la crème, parlant à perte de vue de n’importe quel sujet qui lui passait par la tête, s’interrompant pour engueuler les domestiques et se plaindre que les Italiens étaient les gens les plus lents, les plus bêtes et les plus paresseux du monde. Un instant plus tard, elle proclamait que les Italiens étaient la véritable race maîtresse, les plus grands artistes, la civilisation la plus noble. » Sa petite-fille, Susanna Agnelli, semble avoir été à la fois amusée et horrifiée, à parts égales par son aïeul. Dans ses mémoires de 1975, elle se souvient qu’enfant, sa grand-mère, qu’elle appelait « Princesse Jane » : « adorait les gens, les fêtes, les ragots et les étranges mélanges de la vie. Elle disait des choses atroces qui faisaient trembler les gens, mais elle pouvait rendre la vie de n’importe qui amusante si elle décidait de s’en occuper.« 

Une personnalité anti-conventionnelle, donc, mais pas sympathique pour autant. En 1902, elle est accusée par une femme de chambre de l’avoir battue si violemment qu’elle a eu besoin de dix jours pour guérir. Et en 1908, lors d’émeutes étudiantes devant l’ambassade d’Autriche à Rome, elle est montée avec une amie sur le balcon de l’ambassade et s’est moquée des étudiants en émeute (ce qui a failli lui coûter la vie).

Pour cet autre modèle, il s’agit d’une histoire bien plus tragique, car elle décédera cinq ans après la prise de cette photo dans des conditions troubles.

Il s’agit d’Emily O’neill davies (1903-1935), une mondaine de l’époque, à la vie amoureuse tumultueuse. Elle a épousé William Henry Vanderbilt III en 1923, en a divorcé en 1927. En 1928, elle épouse Sigourney Thayer, ils divorcent un an plus tard. Son dernier mariage aura lieu en 1933 et fut avec l’écrivain Raoul Whitfield. C’est à ce moment que sa vie prend une tournure plus sombre. Peu après avoir entamé une action en divorce contre Whitfield, elle est retrouvée morte par balles dans sa chambre le 24 mai 1935. Un jury du coroner réuni à la hâte conclut à un suicide, malgré le fait que la blessure par balle se trouvait sur le côté inférieur gauche et qu’elle était droitière. La balle, tirée d’un Colt 45, a traversé ses poumons et a touché son cœur. Son décès demeure donc assez suspect. De 1930 à 1935, elle a aussi été un des modèles de Man Ray et le centre Pompidou conserve ce travail du photographe.

Enfin, le dernier modèle dont je parlerai faisait partie à ce moment-là d’un couple de stars américaines (malgré un nom à consonance bien française).

Il s’agit de Kathryn Carver, née Catherine Drum (1899-1947) qui est une actrice américaine du cinéma muet. En 1930, elle est mariée à l’acteur Adolphe Menjou (1890-1963) qu’elle épouse à Paris en mai 1928 et dont elle divorcera en 1934. Lui est un acteur américain, fils d’un hôtelier français émigré à New York, qui, dans une centaine de films américains, interprétera le rôle d’un Français (oui, oui baguette).

Et voilà pour ces trois années qui nous mènent à la fin des années folles. Mais la maison Vionnet a encore une dizaine de belles années devant elle.

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